Réflexions et Recherches sur l’intégration d’une minorité 

à celle d’un Etat-nation dans le monde globalitaire

 

 

 

Le concept d’ intégration renvoie à une question extrêmement complexe qui peut revêtir diverses formes ; les unes  touchent  à la cohésion d’une société tandis que d’autres ont partie liée avec le développement économique international.

Les dynamiques d’intégration, à l’œuvre dans le monde durant le vingtième siècle sont un des moteurs d’évolution des sociétés occidentales, tout comme des nouvelles formes d’organisation internationale. Partie de l’étude d’une minorité religieuse la minorité protestante en République d’ Irlande et son itinéraire  au sein d’une société en voie de sécularisation l’auteur a peu à peu élargi le champ de ses recherches pour se concentrer sur le parcours d’un Etat-nation au sein d’un ensemble à dimension communautaire ou planétaire.

Ces deux perspectives, l’une à l’échelle nationale et l’autre à l’échelle continentale européenne et mondiale, lui ont permis de décliner le concept fédérateur de l’intégration selon des degrés divers, qui reposent toutefois sur  une conceptualisation commune et lui ont permis de mettre en relief les particularismes de l’Irlande contemporaine.

   Outre l’aspect périphérique, l’élément commun entre la minorité protestante et l’Irlande, pays membre de l’Union Européenne tient également  à l’idée de minorité numérique. Si la minorité protestante représente seulement 2,7% de la population irlandaise, la population de l’Irlande équivaut à  1% de la population européenne.

   Dans le paradigme de l’intégration on retrouve en sous-impression la dialectique du singulier et du commun, de l’individualité et de la pluralité, de l’unité et de la différenciation, la question centrale étant « En quoi l’acquiescement à l’intégration menace t-il l’identité d’un groupe ou la  souveraineté d’un peuple? » ou encore « Comment s’intégrer sans subir une acculturation qui ferait perdre de vue des spécificités fondatrices de valeurs ? La problématique minoritaire se retrouve ainsi dans celle d’un petit Etat qui, en outre, a arraché de nombreuses dérogations et clauses d’exception auprès de l’Union Européenne, dans un souci de sauvegarder des parcelles de sa souveraineté jugées non négociables. De surcroît, les deux acteurs de l’histoire, les protestants et les divers gouvernements irlandais, ont, à leur façon, tenté d’amplifier l’effet de taille, voire de transformer une faiblesse numérique en un atout, en enrichissant le débat national ou le débat communautaire. La minorité protestante tout comme l’Etat irlandais peuvent avoir une influence bien supérieure à leur poids réel.

   Ces recherches sur l’intégration allaient inévitablement passer par l’analyse du rôle de l’Etat irlandais dans l’évolution de la société, ses priorités politiques et culturelles, ses choix économiques et sociaux, sa façon d’appréhender les relations internationales et ses rapports avec les autres acteurs et partenaires ainsi qu’avec les autres Etats et avec cette entité que constitue l’Union Européenne. Au cours de son histoire l’Etat irlandais s’est peu à peu substitué à l’Eglise catholique comme organe de régulation de la vie en société.

   S’il est un  domaine dans lesquels une dialectique particulièrement complexe est à l’œuvre en Irlande, c’est bien celui des rapports du religieux et du politique. Ces rapports évoquent des processus de transfert de compétence, de recharge réciproque, d'instrumentalisation mutuelle, au sein de l’espace national, et ont pris une nouvelle portée à l’aune de l’intégration européenne.

   L’Irlande du Nord est également un autre terreau de recherche indispensable, car elle offre tantôt une réalité inversée, en termes de rapports numériques, tantôt une réalité biaisée en termes de problématique dans la mesure où une logique d’intégration initiée par le processus de paix et matérialisée par l’ Accord du Vendredi Saint est encore en butte aux forces persistantes de désintégration et de fragmentation.

        L’indépendance de l’Irlande, le grand tournant économique de la fin des années 1950 et l’entrée de l’Etat dans le Marché Commun ont inauguré de nouvelles phases de son histoire. La transformation du pays renvoie inévitablement à l’idée de rupture par rapport à un système antérieur et suppose l’évaluation du saut franchi par la société. Le constat de cette évolution m’a amenée à distinguer ce que le parcours de l’Irlande a de commun avec celui des autres pays industrialisés et ce qu’il a de singulier.

   Si l’on voulait schématiser l’évolution de l’Irlande depuis son indépendance en 1922, on pourrait dire que l’Irlande est passée du profil de pays pauvre, catholique, nationaliste, introverti, au profil de pays prospère, ouvert, et en voie de sécularisation.

En voici les principales étapes :

- Avec le grand tournant à la fin des années 1950, qui n’a encore jamais été vraiment remis en cause, l’Irlande a renoncé au protectionnisme pour devenir libre-échangiste. Elle est ainsi passée d’un modèle de développement auto-centré à un modèle de développement ouvert aux capitaux étrangers.

- L’Etat providence a été mis en place à la fin des années 1960 et l’Irlande a adopté une protection classique, médiatisée par l’Etat, qui a eu à cœur d’établir la gratuité de l’enseignement secondaire et dans une moindre mesure celle des hôpitaux.

- En 1973 L’Irlande est entrée dans la communauté Economique Européenne fondée par le Traité de Rome de 1957. Elle  a largement bénéficié des fonds communautaires et à su se donner une image de « bon communautaire ».

- Au cours de cette même décennie elle a commencé à se « désenclaver » avec la croissance exponentielle des déplacements aériens et terrestres, ce qui a constitué un formidable vecteur de desserrement du lien au territoire et a fait perdre à la notion de périphéralité une grande partie de son acuité.

- A partir des années 1980 l’Irlande s’est peu à peu sécularisée. Le divorce a été légalisé, l’homosexualité décriminalisée.

- Au cours des années 1990 elle a adopté des  politiques de rigueur budgétaire, sous la pression des autorités de Bruxelles.

- Traditionnellement terre d’émigration, elle est devenue au milieu des années 1990, terre d’immigration et connaît à présent quelques uns des problèmes des pays riches face à l’arrivée des immigrés.

- La société irlandaise, comme les autres sociétés occidentales, doit de nos jours faire face aux clivages générés par des inégalités croissantes.

   Qu’il s’agisse de développement, de sécularisation ou d’intégration, l’évolution  de l’Irlande peut paraître reprendre  dans les grandes lignes l’évolution de nombre de pays du continent européen  avec un certain décalage. Son parcours peut ainsi apparaître comme un raccourci de l’expérience occidentale dans son ensemble... mais cette banalisation de l’expérience irlandaise a ses limites. Il importe de s'interroger sur les retournements constatés et de remettre en question les schémas traditionnels d’analyse.

En matière de sécularisation :

Si la société irlandaise est en voie de sécularisation et accepte de moins en moins de voir sa conduite et ses opinions dictées par un ordre supérieur, en l’occurrence l’Eglise Catholique, la pratique religieuse reste la plus forte de l’Union Européenne avec 67% de pratiquants, ce qui révèle une évolution limitée, encore contenue, comme le confirme l’interdiction persistante de l’avortement.

Si l’Eglise catholique est de plus en plus critiquée, elle contrôle encore une grande partie du système éducatif, sanitaire et social.

En matière d’industrialisation et de développement :

Si l’Irlande semble suivre l’évolution du continent, elle a toujours fait preuve d’une ligne économique souple, que certains qualifieront de pragmatiste, avec la recherche de solutions adaptées à la conjoncture nationale et internationale.

Classée pays intégralement pauvre à son entrée dans la Communauté, elle occupe à présent le sixième rang dans l’Union Européenne pour son PIB en parité de pouvoir d’achat, devant la France et le Royaume-Uni.

Son modèle de développement économique fondé sur des principes d’économie mixte a emprunté à la fois au modèle rhénan et  au modèle anglo-saxon.

En ce qui relève de l’intégration :

Selon une enquête récente sur les valeurs des Européens l’Irlande, malgré les inégalités, reste en tête en matière d’intégration sociale avec une majorité d’habitants dits « traditionalistes intégrés ».

Naguère considérée comme l’enfant modèle de l’UE, l’Irlande a révélé ses tergiversations devant de nouveaux transferts de souveraineté en exprimant deux avis opposés sur le traité de Nice à 16 mois d’intervalle.

Son intégration économique ne saurait se limiter à la dimension communautaire mais semble obéir à trois logiques plus complémentaires que  concurrentes, la logique d’archipel, la logique continentale européenne et la logique atlantique.

Concernant la logique d’archipel, il y a eu une telle intégration humaine, économique et culturelle au Royaume-Uni que l’Irlande peut encore apparaître comme  partie intégrante des îles britanniques.

La logique continentale, avant de devenir communautaire, relevait à la fois du souci de se dégager de la tutelle britannique et de s’amarrer au continent, souvent malgré ou contre sa partenaire historique. Elle a joué un rôle essentiel dans l’évolution politique et économique du pays.

Mais le décollage économique de l’Irlande n’aurait pu se réaliser  sans  l’afflux des capitaux étrangers, essentiellement américains, qui placent l’Irlande au cinquième rang dans le monde comme destinataire des investissements directs américains.

Cet axe de développement, conforme à une logique atlantique, a joué un tel rôle dans la transformation du pays que certains assimilent l’Irlande à une région des Etats Unis.

   On sera également à s’interroger sur la pérennité du modèle irlandais. Le vrai défi pour l’Irlande est d’accroître la part du développement endogène par rapport au développement exogène, mais est-elle en mesure de réduire la dépendance excessive vis-à-vis de l’investissement nord américain ?

Après le modèle de développement qui a fait l’objet de nombreux débats en Irlande, le pays commence à s’interroger sur le modèle de société qu’il souhaite instaurer voire préserver dans une perspective de développement durable qui intègre l’idée d’une économie solidaire,

respectueuse de l’environnement, conforme aux  valeurs qui ont contribué à l’émergence d’une spécificité irlandaise.

  A bien des égards, l’Irlande ne peut rentrer dans les modèles classiques et éprouvés et apparaît comme atypique. Dans son mélange de fascination et de rejet de la modernité on peut voir apparaître une dynamique des contradictions qui, à l’aube du vingt et unième siècle, prend dans ce pays Irlande une résonance toute particulière.


  Marie-Claire Considère Charon


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vboullet @hotmail.com Mise à jour: 01/02/2005